Le grand Chahine est mort. C'est de cette façon que j'ai appris de Rachid Zaki la mort du maître.
J'étais tellement secouée, je voulais en parler mais malgré mon admiration pour le regretté Youssef Chahine, je n'étais pas assez "connaisseuse". Il me fallait l'intervention de spécialistes pour l'occasion.
Je fus honorée quand Rachid Zaki ,réalisateur à2mtv, Mohamed Bakrim ,délégué du centre cinématographique marocain à casa et Olivier Barlet écrivain et grand critique du cinéma acceptèrent de répondre à mes questions.
La conversation avec Rachid Zaki s'est déroulée comme suite.
Q) Le grand Chahine comme vous aimez le nommer était le Fellini égyptien ?
R) Fellini et Chahine avaient un point en commun. Ils étaient tous deux à la fois réalisateurs et acteurs. C'est un point qu'il est intéressant de signaler au départ. De plus les deux hommes sont issus d'une classe bourgeoise mais ont réussi, grâce à leur génie, à capter les réalités respectives de l'Italie et de l'Egypte, avec une justesse déconcertante. A part cela je pense le cinéma italien et plus particulièrement le courant néo-réaliste, dont Fellini faisait partie, a exercé une influence capitale et indéniable non seulement sur le style de Chahine mais beaucoup de cinéastes de par le monde. C'était un style à la mode et Chahine qui était connu pour être un grand intellectuel n'a pas été insensible à ce courant esthétique décisif dans l'histoire du cinéma.
Q) Quels sont les œuvres de Youssef qui vous ont marqué le plus et pourquoi?
R) C'est sûr qu'un film comme "Gare centrale" est et restera l'une des œuvres majeures de Chahine. Je suis également sensible à des films comme "La Terre" ou "Le moineau". Des films qui témoignent du génie de cet homme.
Mais je signale au passage que la carrière de Chahine n'a pas été jalonnée que de chef d'œuvres. JE pense qu'à un moment donné les préoccupations de Chahine ont changé et son style en a pris un sérieux coup. La reconnaissance internationale a pesé de tout son poids sur ce cinéaste qui s'est senti investi d'une nouvelle mission celle de faire des films plus universels, je dirai même plus racoleurs. Il faut reconnaître que ses choix après "Le moineau" n'ont pas été tous bons, Et qu'il y a eu des ratages dans tant au niveau du choix des thème et qu'à celui du traitement cinématographique. Mais force est de constater que le cinéaste est devenu en tout cas plus libre dans ses choix artistiques et thématique et qu'il est devenu maître de son cinéma. Le label Chahine est bien là. Du coup il n'a plus besoin de composer
Q) Mais comment se fait il qu'il est resté un peu le mæstro égyptien au regard du monde ?
R) Etre le maestro tient de la force du cinéma de Chahine certes. Ça c'est une évidence. Peu de cinéastes ont réussi un film de la force de "Gare centrale". Une justesse, une force dans l'écriture, une sobriété dans la mise en scène et surtout une performance d'acteur (Chahine lui même). Un film local, devenu universel par la magie du grand écran
Mais le statut de mæstro tient aussi de la personnalité de Chahine. Un homme convaincu de son cinéma jusqu'à l'arrogance et l'insolence. Mais une belle arrogance que haïssent les écervelés alors que les personnes intelligentes savent séparer la filmographie de son géniteur. Chahine était à la fois, aimé, adulé, craint et parfois haïs mais il n'en reste pas moins un grand maître.
Q) Je pense aussi que malgré les embûches du début, il rebondissait toujours car c'est cette arrogance qui le poussait à percer
R) Oui. Sand doute.
Q) Donc si vous aviez à choisir les quels de ses œuvres vous choisirez?
R) Pour moi il y a "Gare centrale" qui est l'œuvre majeure de Chahine à mon sens.
Ensuite il y a "La terre" et le moineau" puis je pense que "Alexandrie New York", que j'ai vu à Marrakech en 2004, est un film très décisif dans le parcours de Chahine. A l'époque je l'ai senti comme un film testament. J'avais l'impression que Chahine faisait ses Adieux. Car sa façon de se dévoiler, de dire ses vérités même les plus viles au monde, de se mettre à nu ressemblait à un adieu.
Il a certes fait deux films après ce film dont le "Chaos" mais je pense que ces deux films ont été faits dans le temps additionnel. Chahine est mort, à mon sens, après "Alexandrie New York"
Q) Ce que vous n'aimez pas parmi les œuvres de Chahine.
R) Pour les films que je n'aime pas je dirai sans hésiter "Silence on tourne". Je pense que c'est son plus grand flope.
Je me rappelle avoir écrit sur ce film "Que dire de "Silence on tourne" ? Un chef d'œuvre ou un ratage monumental? Un trait de génie ou le délire d'un cinéaste en fin de parcours?". Ça résumait tout ce que je pensais et pense toujours de ce film.
Chahine a certes fait des films différents, éclectiques et qui n'ont pas toujours remporté les suffrages. Mais la touche de Chahine, son délire cinématographique y sont présents à chaque fois. Je persiste et signe en disant que "Silence, on tourne" fut l'erreur cinématographique à ne pas commettre par Chahine.
Q) Vous êtes journaliste, les gens et leurs histoires, les événements qui les touchent ont un impact sur vous, comment avez vous ressentis la mort de Chahine?
R) En tant que journaliste, en tant que cinéaste "qui débute" mais surtout en tant que cinéphile je ressens la mort de Chahine comme un "chaos" pour emprunter le titre de l'un de ses films
Q) Voyez vous une relève côté égyptien
R) C'est une immense perte. L'homme avait encore des choses à dire, d'autres batailles à livrer. Et en dépit de ses 82 ans et de sa filmographie qui avoisine les 30 films, sa mort, je la sens prématurée. Il est mort si jeune car il s'est consumé, pour que notre mémoire cinéphilique reste vive et vivante. Le Cinéma le pleure.
Pour la relève. Je la vois étrangement venir des élèves de Chahine et là je parle de Yousri Nasrallah, qui fut l'assistant de Chaine. La relève viendrait aussi d'Atef Hatata, d'Asmaa Al Bakri qui avait travaillé aux côté du maître Chahine.
Interrogé sur son rapport avec Chahine Yousri Nasrallah m'avait confié sur un ton ironique "Humainement Chahine a le plus sale caractère du monde. C'est une vraie teigne mais en tant que cinéaste c'est l'homme le plus généreux. Il ne cache rien à ses assistants. Il partage son savoir et son savoir faire. Il transmet sa connaissance. C'est la marque des grands"
C'est le meilleur compliment qu'on puisse faire à un homme de son envergure. La relève est là mais lui est vraiment irremplaçable.
Q) Un dernier mot pour conclure monsieur Rachid Zaki.
R) Je me sens tellement petit pour émettre un avis sur un monument du cinéma. Mais j'ai envie de dire cette phrase que j'ai envoyée dans le forum d'africiné (critique de cinéma africain) dont je suis membre
Chahine avait fait du cinéma sa "Terre", son "Destin". Rebelle, iconoclaste, anarchiste, il a toujours refusé d'être "L'autre", de faire des compromis, de plaire... Aimé adulé, craint et parfois haï, il a été et restera un grand maître.
Il fut un éternel "Emigré". Car son cinéma a été apprécié à l'étranger avant même que les siens n'en saisissent le sens et l'essence. "Le fils du Nil" s'est éteint. C'est "le chaos" dans le monde du cinéma.
"Adieu..." Chahine. Tu resteras dans "La mémoire" de tous les cinéphiles
On t'aimera "encore et toujours".
L'interview avec Rachid Zaki se termina sur cette note un peu triste mais si véridique.
Pour monsieur olivier barlet je vous donne le lien de l'article qu'il a écrit sur
http://www.africultures.com et qu'il m'a personnellement transmis pour mon article sur chahine.
http://www.africultures.com/index.asp?menu=affiche_article&no=7984
Monsieur Bakrim Mohamed délégué du centre cinématographique marocain à casa
Q) vous êtes fasciné par Chahine, comment peut on garder l'impartialité du critique tout en étant fan?
R)avec Chahine, on ne peut pas être neutre; on est fasciné par sa personnalité, son charisme, son parcours, son combat et son engagement; par rapport à son oeuvre ; c'est une autre paire de manche; j'appartiens à une génération qui a été marqué par son film Le moineau où il aborde la défaite de 1967 à partir d'un angle cinématographique original toute en pointant du doigt les lacunes et les dysfonctionnements qui ont conduit le régime de Nasser à la défaite; mais ce n'est pas un film intellectuel, sobre et ennuyeux; c'est un récit à la Chahine débordant de vie et d'émotion. D'autres films ont été découverts au fur et à mesure et ont renforcé cette impression. ma réaction a été chaque fois en fonction de cet héritage et en fonction du travail fourni par le cinéaste; certains films vers la fin de sa carrière m'ont beaucoup déçu; j'ai même une fois écrit "le maître est fatigué" à propos je pense de son film Silence...on tourne
Q) vous avez écris sur africiné http://www.africine.org/?menu=art&no=7979&rech=1
" big jo c'est le cinéma jusqu'au bout" ,c'est à dire?
R) Chez Chahine, le cinéma est un choix de vie; sa vie a été déterminée par le cinéma; ce n'est seulement une carrière, c'est une raison de vivre. D'ailleurs c'est l'un es rares cinéastes au monde qui ont fait de sa vie une matière cinématographique
Q) en qui voyez vous une relève de Chahine?
R) Chahine a été un grand découvreur de talent notamment pour les comédiens; il était lui-même à la base un comédien et tous ses films ont été un hymne au jeu; il était en outre toujours entouré de la même équipe ce que les Egyptiens appellent "Chilla" que l'on peut traduire par la bande à Chahine; on y retrouve des jeunes cinéastes qui ont depuis fait leur chemin je pense notamment à mon ami yousri nassr allah (Mercédes, la ville, la porte du soleil...) mais on ne peut parler de relève au sens au propre; chaque cinéaste est le produit de sa propre histoire
Q) qu'elle est l'empreinte de Chahine sur le cinéma?
R) Chahine est un auteur au sens fort du mot; ses films sont des lettres envoyées au spectateur; je pense que son principal apport est dans la concrétisation de ce projet de cinéma autobiographique avec les films Alexandrie...pourquoi? Mémoire Alexandrie new York...
Q) où réside la magie de son cinéma?
R) Le cinéma de Chahine est marqué par le dynamisme de la mise en scène, une très bonne direction d'acteurs; une narration polyphonique avec la multiplication des angles et des points de vue.